Comment en venir à bout de la pauvreté dans le monde ? Éradiquer la misère avec 100 milliards de dollars


La famine qui touche actuellement la Corne de l’Afrique rappelle une nouvelle fois à l’humanité l’urgence de l’extrême pauvreté dans le monde. Selon les calculs de Charles Kenny, la solution à ce problème planétaire est simple et peu coûteuse. Manque plus que la volonté.

L’Afrique pourrait réussir à réduire sa pauvreté de moitié

Pour éliminer la pauvreté, il faut payer les pauvres! La Journée mondiale de la population, le 11 juillet, était l’occasion pour les Nations Unies de nous rappeler chaque année combien d’humains peuplent la planète —aujourd’hui pas loin de 7 milliards— et les gigantesques défis que comporte la tâche de s’occuper d’une famille humaine si énorme. Parmi ces défis figure «mettre fin à la pauvreté», a annoncé le secrétaire général des Nation Unies Ban Ki-moon, défi dont la résolution allait «ouvrir la voie à un vaste potentiel». C’est vrai, sans aucun doute, si un monde sans pauvreté n’était pas qu’un doux rêve. Mais, bonne nouvelle: ce rêve est peut-être réalisable. La pauvreté est naturellement un concept très relatif, mais par convention, on estime que la pauvreté «absolue» correspond à un revenu de moins de 1,25$ par jour. Et il est de plus en plus envisageable de s’assurer que personne sur la planète ne vive sous ce seuil. Aujourd’hui, le nombre de pauvres à ce point indigents est déjà bien inférieur à autrefois, de plus de la moitié en vingt ans. Laurence Chandy et Geoffrey Gertz, de la Brookings Institution, estiment qu’au début des années 1990 environ 1,8 milliard de personnes vivaient avec moins de 1,25$ par jour; chiffre qui est tombé à 1,3 milliard de personnes en 2005 puis à 900 millions en 2010. Chandy et Gertz suggèrent que compléter de façon directe et précise le revenu de chaque être humain pauvre du monde pour relever son revenu quotidien à 1,25$ aurait coûté 96 milliards de dollars en 2005. Mais en 2010, les pauvres étant moins nombreux, ce coût serait tombé à 66 milliards de dollars. Cela ressemble fort à un rêve de responsable humanitaire: un programme d’aide étrangère un peu moins coûteux chaque année.

Première cible: la pauvreté absolue

Naturellement, les pays donateurs peuvent rechigner à combattre l’absolue pauvreté dans des pays assez riches pour gérer le problème eux-mêmes. Martin Ravallion, de la Banque mondiale, avance que la majorité des pays dont le revenu moyen est supérieur à 4.000 $ seraient capables de mettre un terme à la pauvreté absolue en taxant les revenus supérieurs à 13$ par jour. Pour la Chine (dont le revenu moyen dépassait juste les 4.000$ en 2005), il estime par exemple qu’un impôt de 37% appliqué aux personnes gagnant plus de 13$ par jour génèrerait suffisamment de revenus pour permettre de relever chaque pauvre du pays au-dessus du seuil des 1,25$ quotidiens. La Chine a connu six années de croissance depuis, et les données de la Banque mondiale font état d’une augmentation de 50% des revenus moyens rien qu’entre 2005 et 2009. Ce qui signifie que le pays compte déjà beaucoup plus de riches et beaucoup moins de pauvres, et que l’impôt nécessaire serait même encore moins élevé aujourd’hui. Qu’en est-il des pauvres qui vivent dans des pays dont le revenu moyen est inférieur à 4.000$? Selon la Banque mondiale, c’est dans ce genre de pays que vivaient environ trois-quarts de ceux qui disposaient de moins de 1,25$ par jour il y a six ans. Et parce que ces nations comptaient la majorité des plus pauvres parmi les plus pauvres du monde, elles représentaient aussi la bagatelle de 90% de «l’écart de revenus», c’est-à-dire l’argent nécessaire pour faire remonter le revenu de ces pauvres jusqu’au seuil de 1,25$ par jour. En considérant (par convention) que cette proportion de l’écart de revenu reste à peu près valable aujourd’hui, il faudrait alors 59 milliards de dollars pour éliminer la pauvreté absolue dans les pays trop pauvres pour y parvenir par eux-mêmes, soit moins que le budget annuel de la ville de New York. Ce chiffre est même susceptible de diminuer rapidement. Pour Chandy et Gertz, en 2015 il n’y aura peut-être plus que 586 millions de personnes vivant avec moins de 1,25$ par jour. Le coût annuel pour éliminer la pauvreté pourrait alors se réduire à 40 milliards de dollars en quatre ans. En outre, à ce moment-là, le nombre de pays capables de gérer seuls le problème de la pauvreté aura augmenté, et l’écart de revenus aura encore baissé, ce qui signifie que la somme pourrait en réalité être encore inférieure. Ça, c’est la théorie. Mais le chiffre de 40 milliards de dollars se base sur l’hypothèse que nous sommes capables d’identifier qui sont les plus pauvres, de déterminer avec précision leur degré de pauvreté et de leur donner la somme exacte qui leur permettra d’atteindre 1,25$ par jour. Et ça, c’est irréalisable. Même les meilleures études sur les revenus sont inexactes, et tant de gens entrent et sortent de la pauvreté absolue qu’il serait absolument impossible d’en suivre précisément la trace et de les cibler correctement à long terme.

Evaluer autrement la pauvreté

Pourtant, il ne faut pas exagérer l’ampleur du problème: il n’est pas si difficile d’évaluer avec une précision acceptable le revenu et le patrimoine d’un ménage. En 1998, les économistes Lant Pritchett et Deon Filmer ont montré qu’on pouvait, avec une grande fiabilité, mesurer la richesse des gens selon qu’ils possédaient ou pas 23 biens différents —notamment des vélos, des terres et des toilettes avec chasse d’eau. Si l’on accepte d’être un tantinet plus imprécis, on peut même adopter des approches plus simples. Au Bangladesh, un programme d’allocations est proposé aux familles répondant à un critère d’éligibilité parmi une poignée: s’ils sont employés à la journée, s’ils sont métayers ou travaillent dans un nombre limité de secteurs à bas revenus comme la pêche ou le tissage; les ménages dont le chef de famille est une femme ou qui possèdent moins de 2.000 mètres carrés de terres. Le programme du Bangladesh vise les 40% de familles les plus pauvres. L’Allocation pour l’éducation élémentaire est attribuée aux parents de 4,8 millions de familles défavorisées pour qu’ils envoient leurs enfants à l’école, et correspond à environ 1,76$ par enfant et par mois. Dans le cadre de ce programme, six banques distribuent les fonds aux parents sur présentation d’une carte d’identité émise par l’établissement bancaire lui-même à des points de distribution temporaires installés dans un rayon maximal de 5 km autour de chaque école. Ce programme a été analysé par Bob Baulch de l’International Food Policy Research Institute, et l’étude laisse penser que même un pays très pauvre et très peuplé peut gérer un mécanisme d’allocations à grande échelle. Un peu moins de 30% du cinquième des ménages ruraux les plus pauvres du pays touchent l’allocation, alors que seulement 10% du cinquième des plus riches y a droit. C’est loin d’être d’une précision parfaite, mais cela prouve que le ciblage peut fonctionner (et quand on sait que le revenu moyen au Bengladesh est inférieur à 4$ par jour, même les moins pauvres des bénéficiaires de la subvention restent des pauvres selon toute définition raisonnable). Si l’on se base sur l’expérience bangladaise, on peut affirmer avec certitude que le coût réel pour mettre un terme à la pauvreté absolue dans les pays pauvres d’ici 2015 serait bien supérieur à la somme théorique de 40 milliards. Mais il est difficile d’imaginer un programme d’allocations, même relativement inefficace, bureaucratique et mal ciblé, dépassant les 100 milliards. Or, c’est moins que la valeur actuelle de l’aide humanitaire, qui tourne autour de 129 milliards de dollars et cela ne représente que 0,25% du PIB des membres les plus riches de l’OCDE. À une époque de vaches maigres où l’efficacité de l’aide humanitaire traditionnelle est encore largement mise en doute, de nombreux pays riches n’ont pas du tout envie de s’engager à augmenter leur contribution. Mais peut-être pourraient-ils tous s’accorder à donner 0,25% de leur PIB de plus aux habitants les plus démunis de la planète? Pour une mesure susceptible de mettre un terme à la pauvreté absolue dans le monde, ce n’est pas si cher payer.

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